Dans le ciel déjà encombré des télécommunications spatiales, une nouvelle constellation de satellites en orbite basse s’apprête à briller au-dessus de nos têtes. Après une première autorisation pour mener des tests l’an dernier, le projet Amazon Kuiper vient de recevoir l’aval tant attendu de l’ARCEP pour opérer en France. Avec cette autorisation administrative, Amazon pourra prochainement proposer une couverture Internet haut débit aux zones les plus reculées de l’Hexagone, là où les câbles ne vont plus, là où la fibre ne viendra peut-être jamais. Face au pionnier Starlink de SpaceX, le géant américain n’entend pas jouer les seconds rôles.
Amazon Kuiper obtient l’autorisation d’opérer en France
C’est dans la discrétion caractéristique des grandes décisions techniques que l’ARCEP a rendu son verdict, le 15 avril dernier. À travers sa décision n° 2025-0695, le régulateur des télécoms accorde à Amazon Kuiper Services Europe SARL une licence d’utilisation des fréquences hertziennes, valable pour une décennie. Un sésame qui autorise le géant américain à exploiter plusieurs bandes de fréquences — notamment dans la bande Ka — afin d’assurer la liaison entre ses satellites et les terminaux au sol.
Mais cette autorisation n’a rien d’un laissez-passer pour autant et elle est assortie de conditions strictes. Amazon devra notamment veiller à ne pas perturber les autres services utilisant les mêmes portions de spectre, suspendre toute émission en cas d’interférences avérées, et respecter scrupuleusement les cadres techniques édictés par la Conférence européenne des postes et télécommunications. Des obligations de coordination internationale viennent s’ajouter au tableau, ainsi que des redevances liées à l’exploitation du spectre.
L’obtention de cette licence fait suite à une consultation publique menée en toute transparence entre décembre 2024 et janvier 2025. Plusieurs acteurs européens — à commencer par les opérateurs historiques du satellite comme Eutelsat ou Viasat — ont exprimé leurs inquiétudes. Ils redoutent notamment les effets de bord du déploiement d’un réseau de milliers de satellites à basse altitude, en particulier dans les zones urbaines sensibles comme Lyon, où les fréquences risquent d’être saturées. L’ARCEP, cependant, a jugé les garanties d’Amazon suffisantes, préférant ouvrir la voie à une diversification de l’offre satellitaire sur le territoire français.
Kuiper, ou l’ambition céleste d’Amazon
Né dans les bureaux de Seattle et porté par la division AWS, le projet Amazon Kuiper vise le ciel avec méthode et détermination. À terme, ce sont 3 236 satellites qui doivent être placés en orbite basse, tissant une toile invisible autour de la Terre pour transmettre Internet à haut débit, même là où la 4G ne passe plus et où la fibre semble une chimère.
Depuis le printemps 2024, les premiers prototypes ont été mis en orbite. Le 28 avril 2025, une nouvelle étape a été franchie avec le lancement de 27 satellites opérationnels à bord d’une fusée Atlas V. D’autres missions ont suivi, amorçant le déploiement industriel de la constellation. Amazon n’a pas lésiné sur les moyens : plus de 90 lancements sont programmés, répartis entre ULA, Blue Origin et Arianespace. L’Europe n’est d’ailleurs pas en reste, puisque les fusées Ariane 6 joueront un rôle majeur dans cette course au ciel.
Sur le terrain, les promesses sont ambitieuses : des débits allant de 100 Mb/s à 1 Gb/s, une latence faible, et des terminaux compacts à antenne plate, adaptés aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises ou aux collectivités. Trois modèles sont déjà annoncés, du plus minimaliste (15 cm, pour des usages domestiques) au plus performant (antennes professionnelles, débits multi-gigabit). Une version mobile, destinée aux véhicules, est également en préparation.
Mais Amazon ne s’arrête pas à la technique et joue aussi la carte économique. Selon une étude d’Oxford Economics commandée par la firme, le projet Kuiper devrait générer en Europe près de 1,4 milliard d’euros de PIB et soutenir plus de 1 500 emplois d’ici 2029. L’industrie spatiale française, avec notamment ArianeGroup et Beyond Gravity, figure parmi les principaux bénéficiaires de cette manne financière.
Une constellation face à une autre
L’arrivée de Kuiper dans le ciel français est également une offensive stratégique contre Starlink, la constellation de SpaceX qui, à ce jour, domine le marché mondial de l’Internet par satellite. Depuis 2021, Starlink a su s’imposer dans les campagnes françaises, avec une offre clé en main, des performances solides et un marketing bien rodé.
Mais la donne pourrait changer. Là où Starlink s’est précipité, Kuiper a pris le temps de bâtir une architecture plus robuste, plus modulaire et potentiellement plus évolutive. Si tout se passe comme prévu, le service d’Amazon sera opérationnel en France dès la fin 2025, avec des abonnements pensés pour s’adapter aux différentes typologies d’usagers, du particulier isolé à l’administration territoriale, en passant par les flottes d’urgence.
Il reste à voir comment le marché accueillera ce nouvel entrant, mais Amazon Kuiper permettra en tout cas aux consommateurs de bénéficier de plus de choix dans un secteur jusqu’ici dominé par un seul nom. Avec ses montagnes, ses vallées et ses zones blanches, c’est peut-être bien l’Hexagone qui sortira gagnant de duel de géants.